mercredi 19 mars 2014

L'externalisation de l'immobilier lié au service public

La plupart des établissements publics de santé vivent une période de restrictions financières, de financement réduit et de rationalisation ou de rajustement des effectifs.

En période de compressions budgétaires, une fois que toutes les économies et efficiences internes possibles ont été réalisées, de nombreux organismes se tournent vers l’extérieur et examinent l’option de l’externalisation. Ce mode de fonctionnement est perçu comme une façon de réduire les coûts, plus particulièrement ceux de la formation et des avantages sociaux des employés ainsi que les coûts d’immobilisation d’un organisme.

Les externalisations de patrimoine ont pour objectif l’obtention rapide de cash soit pour l’investir dans l’activité cœur de métier soit pour améliorer les ratios financiers, soit encore pour permettre un désendettement.

On connaît déjà diverses formes d’externalisation de la gestion immobilière par des partenariats public-privé dont certaines sont directement applicables au secteur public médico-social et sanitaire.
De telles procédures s’inscrivent pleinement dans le cadre des prescriptions du droit de la commande publique et répondent donc aux obligations procédurales de publicité et de mise en concurrence préalables n’autorisant pas le positionnement direct des partenaires.
Nonobstant, l’externalisation de l’immobilier d’un établissement lié au service public peut aller plus loin encore que la formule de partenariat public-privé : la personne publique peut décider de ne plus être propriétaire in fine et d’externaliser, dès lors, intégralement la gestion de son immobilier.
Il s’agit d’un montage dans lequel l’établissement public signe un contrat de location échappant aux règles du droit de la commande publique.
La position de locataire de l’établissement public lui interdit la qualité de donneur d’ordre ou de maître d’ouvrage
Un tel montage pourrait autoriser le positionnement direct des partenaires s’agissant de la construction de l’ouvrage qui sera loué à l’établissement public.
Il convient de préciser que dès lors que le besoin émane d’un pouvoir adjudicateur et qu’il fait l’objet de spécifications précises et explicites de la part de ce dernier, le droit de la commande publique a vocation à s’appliquer.

Dans le cadre d’une procédure d’appel à projets, la définition du besoin est réalisée dans le cahier des charges de l’appel à projets qui constitue une procédure de mise en concurrence.

Hors cadre d’une procédure d’appel à projets, la question de la définition du besoin est posée. L’ouvrage réalisé par le promoteur-constructeur doit-il être considéré comme répondant aux besoins de l’établissement qui le loue in fine ?

Il s’agit, dans un tel montage, de « renverser » l’initiative du projet de reconstruction / réhabilitation.

Un promoteur acquiert un terrain, réalise l’ouvrage qu’il revend, dans le cadre d’une VEFA, à un bailleur.

Le bailleur loue l’ouvrage à l’établissement dans le cadre d’un bail en l’état futur d’achèvement (BEFA).

Dans le cadre d’une VEFA porté par un promoteur, l’établissement se dessaisit donc totalement de sa qualité de maître d’ouvrage.

Si tel n’était pas le cas, une contrariété avec le droit de la commande publique serait identifiable.

En effet, le contrat échappe au droit de la commande publique dès lors qu’il s’agit d’un contrat de location immobilière.

Pour mesurer le risque de requalification du montage au regard des prescriptions du droit de la commande publique, il convient d’apprécier si la personne publique a pris, ou non, l’initiative du projet et si les équipements réalisés par le promoteur sont définis d’une manière ou d’une autre par l’établissement public locataire (par exemple en termes d’affectation et d’importance des affectations).

Au regard du droit communautaire, la définition du marché public de travaux a vocation à couvrir un nombre important de situations.

La Directive 2004/18 CE précise que :

« Les marchés publics de travaux sont des marchés publics ayant pour objet soit l’exécution, soit conjointement la conception et l’exécution de travaux relatif à une des activités mentionnées à l’annexe I ou d’un ouvrage, soit la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur. Un « ouvrage » est la résultat d’un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou technique » (article 1-2 b).

Il en résulte qu’il peut y avoir marché public de travaux, au sens communautaire, même en l’absence, comme en l’espèce, de maîtrise d’ouvrage publique (CJCE, 12 juillet 2011, aff. C-399/98, Ordine degli Architetti delle Province di Milano e Lodi, Leb. CJCE, I, p. 5409).

Cette indifférence de la maîtrise d’ouvrage publique se prolonge également par la même indifférence au regard de la question de l’appropriation au final par la collectivité des ouvrages réalisés. La Cour de Justice de l’Union Européenne a indiqué qu’une convention peut être qualifiée de marché public au sens de la directive « indépendamment du fait qu’il est prévu ou non que le pouvoir adjudicateur soit ou devienne propriétaire de tout ou partie de cet ouvrage » (CJCE, 18 janvier 2007, Jean Auroux/Cne de Roanne, aff. C-220/05; CJCE, 25 mars 2010, Helmut Müller, aff. C-451/08).

Pour qu’il y ait marché public de travaux au sens communautaire, il faut et il suffit que l’opération en cause soit conclue pour le compte ou à l’initiative d’un pouvoir adjudicateur. A cet égard, il y a lieu de rechercher dans quelle mesure ce dernier a précisé ses besoins, un marché de travaux devant aboutir à la réalisation d’un ouvrage « répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur ».

Une affaire est à cet égard particulièrement notable, puisque ayant abouti, dans une situation dans laquelle une ville et une société d’investissement privée concluent un contrat portant sur la location, par la première, de halls d’exposition à construire par la seconde, et dans laquelle ces halls seront sous-loués par la ville à une société de droit privé dont l’objet est d’organiser des foires et des expositions, à la qualification comme marché public de travaux, d’un contrat, formellement qualifié par les parties de contrat de location, conclu entre la ville et la société d’investissement privée, portant sur la location de halls d’exposition à construire conformément à des spécifications détaillées quant à la réalisation des ouvrages en question explicitées par la ville (CJCE, 29 octobre 2009, Commission c/ Allemagne, aff. C-536/07, points 55-59) :

« Il convient de constater (…) que les ouvrages concernés ont été réalisés conformément aux spécifications très détaillées explicitées par la Ville de COLOGNE dans le contrat principal. Il ressort de ce contrat et de ses annexes que lesdites spécifications, qui se rapportent à un descriptif précis des bâtiments à construire, de leur qualité et de leurs équipements, vont bien au-delà des exigences d’un simple locataire à l’égard d’un nouvel immeuble d’un certaine envergure. Dès lors force est de conclure que le contrat principal avait comme objectif primaire l’édification des halls d’exposition en question conformément aux besoins précisés par la Ville de Cologne ».

Le risque de requalification est donc proportionnel au niveau de description des travaux par l’établissement public qui a vocation à être locataire : « il ne doit pas aller au-delà des exigences d’un simple locataire ».

Incontestablement il s’agit là de démarches novatrices de la part des établissements de santé et les exemples restent encore très rares.

Delphine JAAFAR
Avocat Associée
delphine.jaafar@bismuth.fr

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